Birmanie (Myanmar) : bilan 1 an après le coup d’Etat

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Le 1er février 2021, l’armée birmane reprenait le pouvoir lors d’un coup d’Etat. Après un mouvement de contestation d’une ampleur inédite, la Birmanie est au bord d’une guerre civile. Retour sur un peuple au courage exceptionnel, qui se sait condamné s’il abandonne la lutte.

J’écris cet article à l’occasion des 1 an du coup d’Etat : le but n’est pas de faire un bilan exhaustif (je n’en ai pas la prétention) ; mais plutôt de regrouper des informations clés, pour comprendre la situation actuelle. Toutes mes pensées et mon soutien vont au peuple birman.

SOMMAIRE :

  1. Comprendre la situation politique
  2. Coup d’Etat : bilan après 1 an
  3. Un silence international assourdissant
  4. Comment s’informer ?
  5. Comment aider ?

attention, certaines informations et vidéos sont susceptibles de heurter votre sensibilité. Je ne suis pas journaliste, j’ai essayé de retranscrire de la manière la plus juste les informations présentées et provenant de médias internationaux, locaux, d’organisations comme l’ONU, de groupes activistes ou encore d’ONG (voir les sources en bas d’article).

carte états région myanmar
Les 7 états et 7 régions du Myanmar
(source : https://mm.ambafrance.org/)

Comprendre la situation politique en Birmanie

SOMMAIRE :

Dates clés de la Birmanie moderne

Pour comprendre la crise actuelle birmane, il faut déjà se pencher sur le passé du pays. Durant les deux derniers siècles, le Myanmar a connu plusieurs régimes politiques.

Monarchie puis colonie britannique

  • XIXème siècle : le royaume de Birmanie entre en guerre 3 fois avec le Royaume-Uni (lors des guerres anglo-birmanes). Suite aux défaites, il est inclus dans le Raj britannique (avec l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, notamment), avant de devenir une colonie britannique distincte en 1937 ;
  • 1942 : la Birmanie est envahie par les Japonais.

Dictature de la junte birmane

  • 1948 : le pays déclare son indépendance et quitte le Commonwealth. Une démocratie parlementaire est installée ;
  • 1962 : coup d’Etat du général Ne Win, qui reste au pouvoir jusqu’en 1988 ;
  • 1988 : un coup d’Etat renverse Ne Win et une nouvelle dictature est instaurée, avec le Conseil d’Etat pour la restauration de la loi et de l’ordre ;
  • 1989 : la Birmanie devient le Myanmar, en partie pour rompre avec l’héritage colonial ;
  • 1990 : des élections sont organisées et remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), parti d’Aung San Suu Kyi. La junte annule les élections, réprime violemment les manifestations pro démocratie et assigne à résidence la cheffe du parti d’opposition ;
  • Le Conseil d’Etat pour la restauration de la loi et de l’ordre demeure au pouvoir jusqu’en 2011. 3 généraux se succèdent : Saw Maung (1988-1992), Than Shwe (1992-2011) et Thein Sein (2011) ;
  • 1997 : le Myanmar rejoint l’ASEAN et en 2005, la capitale est transférée de Yangon à Nay Pyi Taw, ville fantôme créée par la junte ;
  • Suite à la hausse des prix de l’énergie décidée par la junte en 2005, des manifestations éclatent pour contester la gestion du pays par les militaires. Lors d’une manifestation pacifiste à Pakokku, des moines bouddhistes sont frappés par des militaires, ce qui déclenche un mouvement national d’indignation (dans un pays majoritairement bouddhiste). L’implication des moines vaut au mouvement le surnom de “révolution de safran”, en référence à la couleur de leurs tuniques ;
  • 2010 : Aung San Suu Kyi est libérée de son assignation à résidence.

Dissolution de la junte et prémices d’une démocratie ?

  • 2011 : déclaration de la République de l’Union de Birmanie, avec à sa tête le général Thein Sein et dissolution de la junte birmane. Pour lever les sanctions internationales qui pèsent sur le pays, les militaires instaurent un semblant de démocratie via un gouvernement “civil” ;
  • Après la tenue des élections législatives partielles, la LND obtient 8% des sièges du parlement, l’essentiel étant possédé par les militaires.

Elections démocratiques : la LND au pouvoir avec les militaires

  • 2015 : des élections législatives ont lieu et sont remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, la LND. Htin Kyaw devient le premier président civil depuis des décennies et Aung San Suun Kyi “ministre du conseil d’Etat” (l’équivalent du Premier ministre) ;
  • 2018 : Win Myint succède à Htin Kyaw, ce dernier démissionnant suite à des problèmes de santé.

Coup d’Etat des militaires

  • 2020 : les élections sont à nouveau remportées par la LND, avec une victoire écrasante. Le commandant en chef de l’armée dénonce des fraudes électorales et demande un nouveau décompte des voix, demande qui est refusée par la commission électorale.
  • 1er février 2021 : l’armée déclare l’état d’urgence pendant un an et arrête Aung San Suu Kyi et le président Win Myint. Le général Min Aung Hlaing prend le pouvoir et promet “la tenue d’élections générales libres et équitables”, passé l’état d’urgence ;
  • 2021 : un mouvement de désobéissance civile se met en place, avec de nombreuses manifestations dans tout le pays. Des grèves sont lancées par le personnel médical, les enseignants, fonctionnaires et employés du système bancaire.

quelle différence entre “Birmanie” (= “Burma”) et “Myanmar” ? Les deux termes existaient dans la langue courante, avant que celui de “Myanmar” ne soit imposé par la junte militaire en 1989. Le principal argument avancé était la volonté de se défaire de l’héritage colonial britannique (“Burma” était plus simple à prononcer pour des anglophones). Contesté par les opposants du régime, “Myanmar” est le terme le plus utilisé par les médias et gouvernements étrangers, depuis que le gouvernement birman a été reconnu par la communauté internationale. Cependant, le terme “Birmanie” est toujours privilégié dans la sphère francophone.

Les rapports entre l’armée et Aung San Suu Kyi

L’arrivée de la LND au parlement

En 2011, la junte birmane est dissoute et le Myanmar bascule vers un modèle plus démocratique via un gouvernement “civil”. Cette étape symbolise l’entrée au parlement de la LND, avec à sa tête Aung San Suu Kyi. Grâce à la tenue d’élections législatives partielles, ils occupent 8% des sièges. Le reste est détenu par les militaires.

Le basculement vers un gouvernement civil est orchestré par les militaires : ils espèrent ainsi lever les sanctions occidentales qui pèsent sur le pays depuis des années. Le but n’était pas d’établir une véritable démocratie mais de montrer patte blanche pour sortir d’un isolement diplomatique. La fin de l’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi (qui dure depuis 1989), principale opposante et symbole démocratique, sert également cet objectif.

Une constitution rédigée par et pour les militaires

Avant l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, les militaires ont modifié la constitution en leur faveur. Dorénavant :

  • Les généraux ne pourront pas être poursuivis en justice pour les crimes du passé ;
  • Les militaires dirigent plusieurs ministères clés, comme celui de l’Intérieur, des affaires frontalières et de la défense. Le gouvernement civil (et donc le président) n’a aucun pouvoir sur ces ministères ;
  • 25% des sièges du parlement sont réservés aux militaires : de cette façon, ils s’assurent que la constitution ne puisse être modifiée sans leurs accords ;
  • Aung Saan Suu Kyi n’aura jamais le droit de devenir présidente (article 59-F de la constitution).

Une faille pour mettre Aung San Suu Kyi au pouvoir

En 2015, lorsque la LND remporte les élections législatives, c’est donc un proche d’Aung San Suu Kyi qui devient président de la république du Myanmar : Htin Kyaw.

Néanmoins, une faille juridique est trouvée : le président peut créer n’importe quel poste au sein du gouvernement. Emerge alors le poste de “conseiller d’état”, qui est au-dessus du président. Les militaires tentent de s’y opposer, sans succès, et Aung San Suu Kyi devient alors la véritable cheffe du pays.

Coup d’Etat en Birmanie : bilan après un an

SOMMAIRE :

Chiffres clés, 1 an après le coup d’Etat :

Depuis le coup d’Etat du 1er février 2021 :

  • Des milliers de Birmans ont participé à des manifestations pacifistes ou violentes (étudiants, professeurs, personnel médical, etc.) dont une majorité de femmes ;
  • Des crimes contre l’humanité perpétrés par les militaires : meurtres, tortures, privation de liberté, disparitions forcées, viols et abus sexuels (selon le rapport 2022 de l’ONG Human Rights Watch) ;
  • Environ 1 500 à 2 000 civils tués dont 75 enfants ;
  • 9 000 prisonniers politiques birmans (selon Reporters sans Frontières) ;
  • 10 000 à 11 000 personnes arrêtées, dont des journalistes, fonctionnaires, étudiants et responsables gouvernementaux ;
  • Une cinquantaine de journalistes détenus par le gouvernement, via des vagues d’arrestation ;
  • 135 personnes torturées à mort lors d’interrogatoires ;
  • 400 000 personnes déplacées dans le pays selon l’OCHA, dont 90 000 qui ont fui l’état Kayah (plus de la moitié de la population de l’Etat) ;
  • Une pénurie alimentaire, le nombre de personnes souffrant de la faim est estimé à 6,2 millions (selon l’ONU). La FAO classe le Myanmar dans les zones à risque d’insécurité alimentaire aiguë ;
  • Une hausse des prix généralisée (carburant, aliments, télécom) et aggravée par la pandémie ;
  • Des coupures internet régulières et des peines d’emprisonnement pour ceux utilisant un VPN ou un pseudo sur Facebook ;
  • Retour au niveau d’appauvrissement de 2005, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a doublé depuis la pandémie.
  • L’agence des Nations Unies en charge des questions humanitaires estime que 14,4 millions de personnes, dont 5 millions d’enfants, auront besoin d’aide en 2022 en Birmanie.

Le Myanmar au bord d’une guerre civile

En janvier 2022, le ministre des affaires étrangères cambodgien Prak Sokhonn, qui assure la présidence de l’ASEAN, a affirmé :

“La crise politique et sécuritaire en Birmanie s’aggrave et a débouché sur une crise économique, sanitaire et humanitaire. Nous pensons que tous les ingrédients pour une guerre civile sont maintenant sur la table.”

Prak Sokhonn (source : GEO)

Depuis 2021, la Birmanie :

  • est divisée entre deux gouvernements (un militaire et un élu démocratiquement mais sans pouvoir, surnommé le gouvernement “fantôme”) ;
  • fait face à un gigantesque mouvement de désobéissance civile via des manifestations (d’abord pacifistes puis violentes) et des grèves généralisées ;
  • voit des milices armées se créer dans la plupart des états et régions du pays.

Bien qu’elle dispose de plus de moyens, l’armée n’arrive pas à maîtriser les groupes rebelles et s’en prend donc à la population civile, via des offensives militaires de nettoyage. Des villes et villages sont la cible d’attaque à répétition, donnant lieu à des massacres et des incendies, jusqu’à tout raser sur place. Par exemple, dans l’Etat Chin, la ville de Thantlang a été incendiée 18 fois, en l’espace de 4 mois. Le but est de semer la panique parmi la population et de la forcer à fuir.

Une grève silencieuse pour les 1 an du coup d’Etat

Le 1er février 2022, à l’occasion des 1 an du coup d’Etat, les Birmans ont protesté lors d’une grève silencieuse : tôt le matin, des civils se sont regroupés dans les rues pour brandir des banderoles pro démocratie.

Ces rassemblements n’ont duré que quelques minutes, les manifestants y assistant au péril de leur vie. Des photos des protestations ont tourné sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #silentstrike.

Répression du gouvernement élu démocratiquement

Suite au coup d’Etat, Aung San Suu Kyi et le président Win Myint sont tous deux arrêtés par l’armée. La plupart des membres de la LND, parti élu démocratiquement lors des élections de novembre 2020, sont en fuite. Ils forment le NUG, le gouvernement d’unité national, dit “gouvernement fantôme”.

Plusieurs membres de la LND sont arrêtés et condamnés, notamment :

  • Aung San Suu Kyi, véritable cheffe du gouvernement birman : âgée de 76 ans, elle est détenue par l’armée depuis le coup d’Etat. En 2021, elle est condamnée à 4 ans de prison pour “violation des règles liées au covid”, qui seront par la suite ramenés à 2 ans. Le 10 janvier 2022, elle est condamnée à 4 ans supplémentaires, pour “importation illégale de talkies-walkies”. Entre 1989 et 2010, elle avait déjà été assignée à résidence à Yangon par les militaires et privée de liberté.
  • Phyo Zeyar Thaw, ex-député de la LND : arrêté en novembre 2021, il est condamné pour violation “de la loi antiterroriste”, selon un communiqué de l’armée. Il s’agit de la première condamnation à mort d’un ex-député de la LND.

l’activiste pro démocratie Kyaw Min Yu a aussi été condamné à mort par l’armée, en vertu de la loi antiterroriste.

Mouvement de désobéissance civile en Birmanie

De février à avril 2021, des millions de Birmans ont participé à des manifestations pacifiques partout dans le pays. On estime que les 3/4 des fonctionnaires ont fait grève et manifesté en faveur de la démocratie. Ils ont rapidement été rejoints par les étudiants, le personnel médical puis par la majorité des citoyens. Cette contestation a donné lieu à un mouvement de grève nationale, d’une ampleur inédite. La population tape sur des casseroles en signe de protestation et les trois doigts levés (comme dans Hunger Games) représentent alors un symbole pro démocratique.

Ces manifestations pacifiques ont été réprimées par les militaires avec des canons à eau, avant de tirer à balle réelle. On dénombre rapidement des dizaines puis des centaines de morts. Depuis avril 2021, les manifestations ont laissé place à l’organisation de la résistance, via des milices citoyennes armées.

L’escalade de violence a continué quand en septembre, le NUG (gouvernement fantôme) a appelé les manifestants à prendre les armes. Début novembre, c’est l’armée qui a annoncé mettre en place une offensive d’ampleur pour contrer la résistance. Les Etats les plus touchés par les conflits sont les Etats Chin, Kayah et Karen, où les ethnies se rebellaient contre le gouvernement depuis des années.

Début 2022, les professeurs étaient toujours en grève : seuls 25% des écoliers ont repris le chemin de l’école. Cela s’explique aussi par le fait que l’école est sous “protection” de l’armée. Les parents craignent donc que la situation dégénère et que les enfants en soient les premières victimes.

depuis le début de la crise, environ 6 000 policiers et 2 000 militaires ont déserté et rejoint le mouvement de désobéissance civile.

Création de milices citoyennes rebelles et armées

Après plusieurs mois de manifestations pacifiques, de nombreuses milices citoyennes ont vu le jour partout dans le pays. Sous le nom de PDF (forces de défense du peuple), beaucoup de jeunes les rejoignent et y suivent un entraînement quasi militaire. Le but : apprendre à défendre leurs territoires et lutter contre l’armée.

Elles sont majoritairement composées d’étudiants, de fonctionnaires et rejointes par de plus en plus de femmes.

D’autres milices déjà existantes et en rébellion contre le gouvernement depuis des années, ont rejoint la cause du NUG (le gouvernement en exil), notamment celles issues de minorités ethniques :

  • la KIA : armée pour l’indépendance Kachin (Etat Kachin) ;
  • la NKU : union nationale Karen (Etat Karen) ;
  • la KNDF : force de défense des nationalités karenni (Etat Kayah).

Personnel médical : grèves et victimes d’attaques

En plus de faire face à une crise politique et sociale, la Birmanie a été violemment touchée par le covid. La plupart des cas se sont déclarés pendant la saison de la mousson (de juin à août), le pays étant relativement épargné jusque-là. La pandémie a fragilisé le système de santé : peu de malades avaient accès aux soins (en partie à cause de la grève du personnel hospitalier) et trop peu de bouteilles d’oxygène étaient disponibles. La majorité des vaccins viennent de l’étranger, à savoir d’Inde.

Selon un rapport d’Insecurity Insight, de Physicians for Human Rights et de l’université Jogn Hopkins, 190 soignants ont été arrêtés et 25 tués, dans les six mois qui ont suivi le coup d’Etat. Au moins 252 attaques et menaces envers le personnel et les installations médicales ont également été recensées.

Le travail des ONG bloqué

Alors que la population a plus que jamais besoin d’aide alimentaire et médicale, l’armée bloque leurs acheminements dans les zones de conflit : ces territoires sont ceux où la résistance est la plus forte, avec les milices citoyennes, selon l’ONG Human Rights Watch.

Outre le fait de voir leurs actions bloquées, les ONG présentes en Birmanie sont également la cible de l’armée : en septembre 2021, le bureau de l’ONG Save The Children situé à Thantlang dans l’Etat Chin a été détruit par des bombardements. Ces derniers ont également ravagé des maisons alentour et faisaient suite à des affrontements avec une milice armée locale.

Le 24 décembre 2021, la même ONG confirme la mort de deux de ses employés, lors d’un massacre perpétré dans l’Etat Kayah. Au total, ce sont 35 personnes, dont des enfants, qui ont été abattus par les militaires puis brûlés.

Répression des journalistes et de la liberté de la presse / expression

Une liberté de la presse déjà fragile

Depuis 2018, la liberté de la presse commençait à reculer en Birmanie : en cause, la médiatisation du génocide des Rohingyas. Deux journalistes avaient été emprisonnés plus de 500 jours, suite à une enquête sur un massacre de civils. Ils avaient finalement été graciés.

Cela a notamment valu au Myanmar le rang de 140ème pays (sur 180), au classement mondial de la liberté de la presse, établi par Reporters sans Frontières (début 2021). L’organisation dénonce la censure et les arrestations dont sont victimes les journalistes birmans.

En effet, un article de loi permet aux militaires d’exercer la censure : il s’agit de l’article 66(d) de la loi sur les télécommunications, qui considère la diffamation comme un crime. Elle peut condamner à 3 ans de prison un journaliste, pour une information contestée par un tiers.

Une situation qui s’est aggravée après le coup d’Etat

Depuis le coup d’Etat, la situation s’est aggravée avec des vagues de censure, d’arrestations et de condamnations de journalistes :

  • The Myanmar Times, média local, n’a plus publié d’article depuis le 19 février 2021 ;
  • Le 18 janvier 2022, deux journalistes du Dawei Watch ont été arrêtés. Basés dans la capitale de l’Etat Tanintharyi (extrême sud du pays), ils avaient couvert les manifestations contre le coup d’Etat sur le site web et la page Facebook du média (suivie par 380 000 personnes) ;
  • Reporters sans Frontières exige la libération de la cinquantaine de journalistes détenus par l’armée ;
  • En janvier 2022, l’UNESCO a condamné le meurtre du journaliste Sai Win Aung le 25 décembre 2021. Il a été abattu par les militaires, alors qu’il couvrait la crise migratoire des réfugiés de l’Etat Kayin, au sud du pays.
  • Lors de l’édition 2021 du festival Visa pour l’Image (Perpignan), le Visa d’or News est remis à un photographe birman… anonyme. Pour des raisons de sécurité, il n’a pas pu révéler son identité. Ce prix récompense son travail sur la “révolution du printemps” en Birmanie.

La liberté d’expression est elle aussi menacée : en janvier 2022, les militaires font passer une loi interdisant aux citoyens de taper sur des casseroles et des pots en signe de protestation. Ce geste est maintenant considéré comme un “acte de haute trahison” et est passible de 3 ans d’emprisonnement et de la peine de mort. De plus, un projet de loi vise à interdire l’usage des VPN, outils utilisés pour se connecter aux réseaux sociaux bloqués dans le pays.

Déplacements de population

Selon l’ONU, 90 000 personnes ont fui l’Etat Kayah, qui représente une zone majeure d’affrontement à l’est du pays. Cela représenta plus de la moitié de la population de l’Etat. La plus grande ville de l’Etat, Loikaw, est désertée.

Au total, ce sont 400 000 Birmans qui se sont déplacés pour fuir l’armée et les zones de conflit, selon l’OCHA (bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU).

“Plus de 400 000 personnes ont été déplacées depuis la prise du pouvoir par les militaires il y a un an. Des milliers de personnes déplacées vivent dans des conditions épouvantables, beaucoup se trouvent dans des camps (…) et certaines ont traversé les frontières avec la Thaïlande et l’Inde ou se sont réfugiées dans la jungle, sans nourriture, abri, services d’assainissement, protection ou soins médicaux adéquats.”

Jens Laerke, porte-parole de l’OCHA (source : France Info)

Le génocide des Rohingyas

Pourquoi cette minorité est-elle discriminée ?

Les Rohingyas sont une des minorités ethniques en Birmanie, vivant dans l’Etat Rakhine et comptant un peu plus d’un million de personnes. Historiquement, il s’agit d’une population amenée depuis le Bengale oriental, par les Britanniques. Elle est venue comme main-d’œuvre agricole ou administrative.

Les tensions à l’encontre des Rohingyas sont malheureusement anciennes et ancrées chez les Birmans. Lors de l’union des ethnies dans la lutte contre l’empire britannique, une seule d’entre elles a refusé de rejoindre le mouvement du général Aung San : les Rohingyas. L’indépendance déclarée, ils ont alors été perçus comme des traîtres et des étrangers. Leur confession musulmane, dans un pays à forte majorité bouddhiste, est perçue comme une menace pour l’unité nationale et a participé à cette discrimination. Les bouddhistes birmans les appellent Bengali. Quant au gouvernement, il les considère comme des immigrés illégaux et refuse de leur accorder la nationalité birmane, les rendant ainsi apatrides.

Une minorité victime d’un nettoyage ethnique

En 2016, les tensions sont montées d’un cran entre les militaires et les groupes armés de l’Etat Rakhine, suite à des attaques des postes de polices birmans. En réponse, l’armée a commencé un véritable nettoyage ethnique : massacres de masse, viols, tortures… Depuis 2017, plus de 750 000 Rohingyas ont fui la Birmanie et se sont réfugiés autour de la frontière avec le Bangladesh.

Ils sont confinés dans des camps et des villages, victimes de crimes contre l’humanité. Depuis le coup d’Etat, l’armée restreint les aides en provenance des pays étrangers et limite les actions des ONG sur place. Par conséquent, leur situation empire et les décès augmentent.

le génocide des Rohingyas a commencé sous le gouvernement dirigé par Aung San Suu Kyi. Néanmoins, les crimes sont perpétrés par l’armée, qui échappe au contrôle de la cheffe de l’Etat (selon la constitution en vigueur). La dirigeante a préféré nier les faits, en évoquant une immense campagne de désinformation.

L’implication des groupes gaziers, dont Total et Chevron

Un montage financier qui soutient les militaires

Le groupe Total est présent en Birmanie depuis le début des années 1990. Le producteur et fournisseur d’énergie français exploite le champ gazier de Yadana, situé en mer d’Andaman. Au printemps 2021, Le Monde révèle un montage financier complexe, autour du gazoduc reliant le gisement à la Thaïlande : via une société basée aux Bermudes, plusieurs centaines de millions de dollars de recettes échappent à l’Etat birman et sont reversées sous forme de dividendes à la MOGE (Myanmar Oil and Gaz Enterprise). Or, cette entreprise appartient à l’armée birmane : ces revenus financent directement les crimes commis par les militaires. Suite à ces révélations, Total stoppe le versement de dividendes à l’armée fin 2021.

Suite au coup d’Etat, plusieurs ONG et activistes demandaient le retrait des entreprises gazières étrangères, dont Total et l’américain Chevron. Total justifiait sa présence par l’“impossibilité de priver les Birmans et les Thaïlandais d’électricité”. Le groupe français fournit en électricité la moitié de la population de Yangon, capitale économique du pays. En contrepartie des taxes versées à l’Etat (et donc de facto, aux militaires), Total s’est engagé à verser le même montant à des ONG de défense des droits humains en Birmanie.

Total et Chevron se retirent de Birmanie

A l’approche des 1 an du coup d’Etat et face à la pression médiatique, Total et Chevron annoncent leurs retraits du pays. Le groupe français détient 31% des parts du projet de Yadana et s’engage à quitter la Birmanie d’ici 6 mois. Leurs départs signifient que leurs intérêts seront répartis entre les partenaires actuels restants : le thaï PTTEP et la MOGE birmane (15% des parts actuelles).

Cette décision a été saluée par Naw Susanna Hla Hla Soe, la ministre chargée des femmes et de la jeunesse dans le gouvernement fantôme birman :

“C’est un message fort envoyé aux militaires. Couper les revenus économiques de la junte est primordial pour détruire le régime.”

Naw Susanna Hla Hla Soe (source : Le Figaro)

Les nouvelles technologies au service d’une guerre

Les nouvelles technologies ont pu être utilisées comme armes de guerre :

  • des drones servent à lâcher des bombes ou à poser des mines, qui seront activées via un smartphone ;
  • des armes ont été créées avec des imprimantes 3D, dans certaines milices.

Un silence international assourdissant

La crise que traverse le Myanmar a été peu médiatisée mais surtout, n’a pas donné lieu à des prises de position fermes de la part d’Etats voisins ou occidentaux.

Certaines démocraties ont notamment pu être frileuses à l’idée d’apporter leur soutien à Aung San Suu Kyi : élue Prix Nobel de la paix en 1991, il lui a été reproché son inaction face au génocide des Rohingyas, perpétré par les militaires birmans.

L’ASEAN, critiquée pour son inaction

L’ASEAN (Association of South East Asian Nations) est une organisation économique regroupant l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie. Elle a comme règle de base de ne pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats membres.

L’organisation a donc été vivement critiquée pour son inaction face au coup d’Etat et à la répression sanglante qui s’en est ensuivie. Courant 2021, elle finit par signer un accord avec les militaires : il porte sur un consensus en 5 points, pour restaurer le dialogue et apaiser les tensions. Cependant, peu de progrès sont à noter depuis.

Seul fait marquant : l’ASEAN a exclu le chef de l’armée birmane d’un sommet en octobre 2021. En cause, la visite de l’émissaire de l’organisation qui avait été repoussée, suite au refus des militaires de le laisser rencontrer Aung San Suu Kyi.

Le 7 janvier 2022, le Premier ministre cambodgien Hun Sen se rendait en Birmanie : il s’agissait de la première visite d’un dirigeant étranger (et membre d’un Etat de l’ASEAN) depuis le coup d’Etat. Cette visite a été vivement critiquée par les ONG et activistes birmans, qui demandaient son annulation.

seule l’Indonésie entretient des rapports avec tous les acteurs en Birmanie, qu’il s’agisse des militaires comme du gouvernement fantôme.

Demande de sanctions sur les revenus du gaz

De nombreuses ONG demandent la mise en place de sanctions internationales sur les revenus du gaz. En effet, cette exploitation représente la première source de devises étrangères du gouvernement : elle finance donc directement les crimes contre l’humanité commis par les militaires.

L’Union européenne, le Canada, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont imposé des sanctions ciblées contre les entreprises détenues par l’armée birmane et par certains officiers haut placés. Néanmoins, aucun gouvernement n’a pour l’instant imposé de sanctions sur les revenus du gaz et du pétrole.

Quelles décisions de l’ONU ?

En juin 2021, l’ONU a appelé les Etats membres à ne plus vendre d’armes au Myanmar. Cependant, le conseil de l’ONU n’a pas adopté une mesure plus restrictive, interdisant au niveau mondial le transfert d’armes dans le pays.

A l’occasion des 1 an du coup d’Etat, coup de projecteur sur la Birmanie : l’ONU demande une aide de 826 millions de dollars, un record pour le pays. L’organisation estime que 25 millions de Birmans vivent dans la pauvreté (sur 54 millions au total).

Comment s’informer sur la situation en Birmanie ?

Plusieurs médias ou organisations indépendantes continuent de couvrir l’actualité en Birmanie :

Pour découvrir la richesse culturelle et les paysages du Myanmar :

Comment venir en aide au Myanmar ?

En parler autour de soi

Dans l’ensemble, la crise birmane a été peu couverte par les médias occidentaux, du moins jusqu’à l’approche des 1 an du coup d’Etat. En parler autour de soi, c’est sensibiliser ses proches à la situation du pays.

A son échelle, c’est permettre qu’il ne tombe pas dans l’oubli ou l’indifférence.

Faire un don au Mutual Aid Myanmar

Le Mutual Aid Myanmar (AID) regroupe des activistes et intellectuels qui soutiennent le mouvement démocratique en Birmanie. L’argent collecté sert à payer la nourriture, le logement et les soins des activistes.

En janvier 2022, ce sont au total 700 000 dollars qui avaient pu être collectés.

Parrainer un enfant ou un étudiant birman

Enfants du Mékong propose de parrainer un enfant / adolescent / étudiant en Birmanie. Le parrainage coûte 28€ par mois et permet de financer les frais de scolarité du ou de la filleule mais aussi d’apporter une financière pour la famille (notamment une aide alimentaire). Ce soutien permet l’accès à l’éducation à des jeunes issus de familles pauvres : sans ce parrainage, ils devraient travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Les responsables pays et bénévoles sur place partagent fréquemment des nouvelles, via un groupe Facebook.

comme tous les dons, le montant du parrainage donne droit à une déduction fiscale de 75%.

Aide médicale avec Médecins Sans Frontières

Médecins Sans Frontières (MSF) est présent au Myanmar et apporte des soins médicaux aux populations locales, déplacées ou victimes d’oppression.

Soutenir l’agence des nations unies pour les réfugiés birmans

L’UNHCR a besoin de financement pour venir en aide aux réfugiés birmans :

Sources

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4 réponses

  1. Avatar de Blanchet-Olivier Patricia
    Blanchet-Olivier Patricia

    Bravo pour ce travail de recherche et de rédaction. Ayant visité ce pays deux fois, (2015 et 2019). j’ai découvert une population digne, courageuse et d’une grande bienveillance, malgré les difficultés de vie.
    La liberté timide acquise en 2019 avait “transformée” le peuple : l’espoir d’une vie meilleure était en marche…
    Malheureusement, le chaos est revenu..
    Ne les oublions pas ces birmans et birmanes.
    Je suis artiste peintre, lors de mes séjours, les birman(e)s rencontré m’ont demandé de raconter leur vie : j’ai donc écrit mes “récits de voyage de 2015 et de 2019” ponctués de dessins, croquis et de photos, pour raconter leur histoire… Je n’ai pas réussi à recontacter les gens rencontrés…que sont-ils devenus? Je pense souvent à eux…
    Merci pour cet article

    1. Avatar de Chloé
      Chloé

      Bonjour Patricia, merci à vous d’avoir pris le temps de partager un peu de Birmanie ici, les voyageurs à s’y être rendus sont rares. Pouvez-vous indiquer où l’on peut se procurer vos récits de voyage ? Merci pour eux de ne pas les laisser tomber dans l’oubli.

  2. Avatar de Cindy
    Cindy

    Merci et bravo pour cet article très détaillé et carré à la fois qui explique tellement de choses et m’a permis de mieux comprendre l’historique, les enjeux, les différentes étapes. Bravo pour cet énorme travail et d’avoir cité les sources que je ne manquerai pas d’aller consulter. Bravo aussi pour les propositions concrètes de soutien et d’aide au peuple birman.

    1. Avatar de Chloé
      Chloé

      Hello Cindy, merci beaucoup d’avoir pris le temps de laisser un aussi gentil message et ravie de savoir que mon article a pu être utile 🙏

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